REFLEX ION SUR EUROMED

EUROMED. Mettre au jour artifices et finalités

Conttribution de Noël Luzi au projet pour Marseille
En inscrivant leurs politiques dans les mécanismes du néolibéralisme, les gouvernements qui se sont succédés depuis des années ont mis en place des montages juridiques qui ont conduit peu ou prou au démantèlement et à la privatisation de nombre d’activités et de services relevant du secteur public.
- Artifices et véritables finalités :
Pour n’évoquer que les plus usités de ces dispositifs, on citera notamment les établissements publics administratifs, et plus particulièrement les établissements publics industriels et commerciaux, les agences, les sociétés d’économie mixte, les concessions ou encore les délégations de service public. On ne versera pas dans le simplisme ou le manichéisme en niant l’utilité que peut revêtir le recours à tel ou tel de ces dispositifs pour répondre à un problème ponctuel ou spécifique rencontré par l’Etat ou les collectivités. En revanche, ce qui doit être dénoncé et combattu, c’est l’utilisation systématique et le déploiement à grande échelle de ce type de structure, en même temps qu’il faut déconstruire le discours mystifiant qui accompagne leur mise en place. Car la stratégie déroulée consiste à procéder au coup par coup, en utilisant chaque fois ce type d’artifice, adapté au contexte, pour mieux faire exploser les cohérences et les solidarités qui caractérisent le secteur public. Le discours et l’acte se conjuguent pour mieux déguiser les véritables finalités. Cette logique institutionnelle n’est que la transposition à tous les échelons territoriaux de l’ordonnancement libéral dans toutes ses dimensions. Effectivement, à travers elle, il s’agit tout à la fois : de généraliser les modes de gestion du secteur marchand en leur attribuant des vertus supérieures ; de porter atteinte aux droits et garanties des agents publics pour les placer dans un état de dépendance hiérarchique et idéologique et, plus particulièrement en ce qui concerne l’encadrement supérieur ; d’ouvrir les organes délibérants aux représentants des grands groupes aux fins de renforcer l’influence de ces derniers et, du même coup, de diminuer les prérogatives des élus ; de célébrer les avantages d’une prétendue autonomie de gestion pour transférer la responsabilité du financement sur l’usager ; de renforcer les pouvoirs de directions technocratiques au détriment des conseils d’administration et de la fréquence de leurs réunions ; de restreindre l’information des citoyens et d’entretenir l’opacité autour des enjeux, car, à la différence des séances des assemblées territoriales, les réunions des conseils d’administration ne sont pas publiques et ne font donc pas l’objet d’une publicité des débats. Autant de dispositions qui se conjuguent pour faciliter la dépossession du pouvoir de décision des citoyens et de leurs représentants et le transfert des richesses du public vers le secteur marchand.
- La mer ? Au plus offrant !
A cet égard, force est de constater que dans le cadre de l’aménagement urbain, l’établissement public d’aménagement Euroméditerranée (EPAEM), est un exemple accompli en la matière. Le pouvoir de décision a été mis hors de portée des citoyens et les prérogatives de l’organe délibérant sont le plus souvent réduites à l’entérinement de « prédécisions », préparées et négociées en amont par un appareil de direction technocratique, dépendant directement du gouvernement (voir contribution en date du 20 août 2013).
C’est dans ce cadre institutionnel, inspiré d’une conception libérale et centralisatrice de l’exercice du pouvoir, que le discours officiel de légitimation d’Euromed a trouvé son assise. Il a consisté à masquer un processus de gentrification d’importance, avec notamment la captation de fonds publics pour aménager le front de mer au bénéfice des grands groupes de l’immobilier et de particuliers fortunés. On relèvera que cette opération, comportant la construction de quatre tours géantes (1), dont les prix du m² atteignent 12000 euros, avec des normes contraignantes et des coûts d’infrastructures considérables pour les finances publiques, n’a jamais servi de référence au moment de l’annonce officielle du projet et n’a donc pas pu donner lieu à débat. Mais il est manifeste que ce type d’aménagement n’est pas sorti des cartons du jour au lendemain. Compte tenu de son ampleur, il ne pouvait pas ne pas figurer dans l’équilibre global du projet initial.
De par son mode d’organisation et de fonctionnement Euromed porte en germe d’autres phénomènes tout aussi préoccupants.
- La ville ? Comme une entreprise !
Par exemple, à quel type de demande sont destinés les 35000 m² de bureaux de la tour « La Marseillaise » (1) ?
Le prix du m², estimé à 2 fois le prix du marché, va-t-il trouver preneur ? Et pour faire quoi ?
L’exemple de la location par la communauté urbaine de 12 étages sur 31 de cette tour pour loger 1200 agents, pour un loyer annuel de 6,4 millions d’euros, n’est-il pas de nature à nous interpeller ? Au nom d’une supposée revalorisation de l’image de Marseille, on offre de biens coûteuses béquilles à un gros investisseur. En même temps, on a l’illustration même de ce que recouvre cette conception du partenariat public-privé (PPP).
Selon l’INSEE, Marseille est l’une des villes qui a, durant ces dernières années, enregistré les hausses les plus importantes tant en ce qui concerne le prix du foncier qu’en ce qui concerne la construction neuve de logement ou de bureaux. Ce sont les politiques conduites par Euromed, en phase avec la stratégie de la ville dans les domaines de la promotion immobilière et de la rénovation, qui ont entrainé ces changements importants.
Ce modèle néolibéral de gestion de l’entreprise appliqué à la ville ne peut que générer déséquilibres et ségrégation urbaine.
- L’exemple d’une gestion « A bout de souffle »…
Il faut bien évidemment éviter de se livrer à des généralisations hâtives, mais on ne peut s’empêcher de faire des rapprochements avec la situation calamiteuse que connaît l’établissement public d’aménagement de la défense Seine-Arche, (EPADESA), en région parisienne ; sa gestion est dite « A bout de souffle ».
Depuis son origine, l’EPADESA finance ses dépenses d’aménagement de l’espace public (accès routiers, transports, aménagements et entretien des espaces publics, notamment autour des nouvelles opérations immobilières) par la vente de terrains à bâtir. Or, aujourd’hui, les ventes de terrains à bâtir se sont considérablement ralenties.
La direction de l’établissement avait envisagé d’en vendre pour 302 millions d’euros au titre de l’année 2012. En définitive, elle n’en a vendu que pour 7.5 millions. Autant dire que la vente des droits à construire ne couvre pas les coûts engagés pour aménager et entretenir les espaces publics. Par ailleurs, plus de 2 millions de m² de bureaux sont vacants et le marché est en train de s’effondrer.
Les socialistes s’étaient engagés à dissoudre cet établissement, à l’organisation et au fonctionnement singulièrement opaques. Ils s’en tiennent aujourd’hui à des modifications à la marge. Pour résoudre le problème dit des « surcapacités », le Ministère de l’égalité des territoires et du logement envisage la conversion des bureaux vacants en logements. Dans le même temps, pour relancer l’activité de l’EPADESA, Cécile Duflot table, d’une part, sur les ventes de nouveaux terrains dans une zone allant de la Défense à la Seine et, d’autre part, sur la vente de charges foncières liées à la conversion des bureaux en logements. Le tout, aux dires de la ministre, « dans la conception d’une ville durable ». En d’autres termes, faire dans la continuité sans le dire expressément…
- Réparer un abandon, combler des retards
Sur nombre d’aspects, Euromed présente des similitudes avec l’EPADESA. Au regard de l’impérieuse nécessité de construire un vivre ensemble démocratique, Euromed est une opération des plus critiquables. Elle constitue cependant une réalité incontournable, qui concentre des moyens considérable pour des enjeux majeurs. La nécessité d’aménager l’espace urbain, d’éradiquer l’habitat insalubre, de développer les services publics et l’emploi traduit l’importance des retards à combler dans une ville qui, depuis des années, a été quasiment abandonnée par l’Etat. L’articulation entre les secteurs public et privé doit par conséquent s’opérer autrement, afin de mettre les moyens dont dispose aujourd’hui Euromed au service de finalités d’intérêt général et de satisfaction des besoins des marseillais. Dans ces conditions, ce qui doit prévaloir, c’est moins la nature de l’institution que les modalités visant à impliquer les citoyens. Une opération de l’ampleur d’Euromed doit effectivement s’inscrire dans un processus de planification et de décision démocratiques, inséparable d’une libre coopération entre les collectivités territoriales. Et entre ces dernières et un Etat qui assume son rôle de garant des principes d’égalité et de solidarité.
XXXXXX
Cette contribution vient après celle du 20 août 2013. Les enjeux seront peut-être abordés lors de la campagne des municipales… et au-delà sans aucun doute… ce sera dont d’abord l’affaire des sections les plus directement concernées. Pour avancer et agir très concrètement, pour un travail collectif l’auteur de ces quelques lignes est à disposition des camarades.
(1) Les 4 tours en questions :
- Le Balthazar (Hauteur 31 m) :
  • 8 niveaux, avec 8900 m² de bureaux
  • 2 grands commerces.
  • 150 places de stationnement.
  • Locataires annoncés : VINCI (25%) et Constructas (25 %)
- « La Marseillaise » (Hauteur 135 m) :
  • 31 étages pour 35.000 m² de bureaux
  • 2800 m² de restaurants d’entreprises
  • 3 commerces en pied d’immeuble
  • 350 places de stationnement.)
- Tour « Horizon » (Hauteur 113 m) :
  • 35 étages
  • Destinée à l’hôtellerie : (200 chambres d’hôtel et 150 chambres résidences tourisme)
- H 99 (Hauteur 99 m) :
  • 27 étages
  • 147 appartements conçus sur mesure.
  • 3 Types de commercialisation : (600 € le m², 9.500 € et 11.000 € le m²)
Selon les mots d’un promoteur : « il n’y a rien de tel que de contempler la mer en travaillant. »

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